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Le collectathon est l'ancêtre du walking-sim

·27 mins
Game-Design

Le platformer 3D reprend petit à petit de la cotte. En partie par nostalgie, et en partie grâce à des idées neuves qui viennent le renouveler. Mais il s’accompagne de son cousin : le collecthathon. Un terme devenu presque péjoratif.

Les collectathons, c’est ces jeux où on doit ramasser plein de petits objets dispersés dans le niveau. Des pièces, des plumes, des rubis, des patounes1… Ils étaient très populaires dans les débuts de la 3D, jusqu’aux années 2010 environs. Placer des lignes de friandises sur un chemin était un moyen efficace pour guider les joueurs, et les motiver à parcourir tous les recoins des niveaux en leur faisant miroiter une parfaite complétion ! Mais en s’accoutumant à l’exploration d’espaces en trois dimensions, les joueurs ont fini par voir ces ficelles et s’en sont lassés. Longer les murs de chaque salle pour ramasser les 80 morceaux scintillants, c’est davantage fastidieux que ludique. On attend d’un jeu qu’il ait des mécaniques engageantes, la collecte seule ne suffit plus. De mon côté je ne suis pas non plus très friand des collectibles. J’aime explorer les environnements de jeux pour eux-même, comme une récompense intrinsèque, pas au travers d’objectifs artificiels2.

Tous les collectathons seraient alors à jeter ? Le genre n’aurait plus de sens aujourd’hui ? Je n’en suis pas sûr. Malgré les reproches que je fais aux collectibles, il y a des aspects que j’apprécie dans le collectathon. Et même certains jeux pour lesquels je conserve une affection. Bien sûr, la nostalgie joue grandement. Cette rétrospective est une occasion de replonger dans un genre qui a façonné ma découverte du jeu-vidéo. Mais on croisera tout de même des game-design intéressants sur le chemin ! Démarrons donc avec l’un de piliers fondateurs du collectathon : Banjo-Kazooie.

Banjo & Kazooie, le duo de la Nintendo 64
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Banjo-Kazooie, jeu de Rare sorti en 1998, ressemble aux premiers abords à un clone de Super Mario 64. C’est un jeu de plate-forme 3D où l’on explore des niveaux ouverts, dans lesquels il faut récupérer des étoiles pièces de puzzle pour progresser. On peut aussi y chercher les 8 pièces rouges 5 Jinjos, ou amasser 100 pièces notes de musique. Ces niveaux sont accessibles depuis un hub central, le château de la Princesse Peach la Grotte de la Sorcière Gruntilda, où ils sont représentés par des tableaux3. Ouais, l’inspiration est bien là. Mais Banjo-Kazooie arrive à se démarquer par son univers loufoque et ses dialogues absurdes, ainsi que son panel particulier de mouvements qui s’étoffe au fil du jeu.

J’aime énormément ce jeu. Mais je dois l’admettre : ses aspects de platformer ne sont pas très intéressants. Bien que sa palette de mouvement soit variée, elle est plutôt imprécise et pataude. Les phases de plate-forme sont rarement difficiles, et quand elles le sont c’est avant tout frustrant4. La plupart des défis consistent en des puzzles, mais idem, il n’y a rien de vraiment complexe. Placer 10 œufs dans un seau, ou faire une attaque rodéo5 sur une série de boutons, ça ne casse pas trois pattes à un canard. En réalité l’intérêt de Banjo-Kazooie ne réside ni dans la plate-forme ni dans le puzzle : c’est un jeu d’exploration. Banjo-Kazooie c’est un jeu où l’on grimpe sur un bateau pirate, où l’on se faufile dans le manoir d’un fantôme, où l’on cherche des secrets dans des pyramides, et où l’on grimpe au sommet d’un bonhomme de neige géant. Le plaisir qu’il procure se construit par son univers, sa personnalité, les personnages que l’on rencontre, aux dialogues toujours drôles, amenant des situations inattendues, et des surprises dans chaque niveaux.

Banjo-Kazooie

Les niveaux eux-même sont construits comme des parcs d’attraction. Prenez la carte du premier, la Montagne de Mumbo. C’est un chemin formant une boucle autour d’une montagne6, faisant passer par plusieurs petits points d’intérêts, chacun placés dans une zone bien démarquée. La rivière, le taureau, le gorille, les ruines, la termitière, le village… Tout est fait pour qu’on puisse identifier ces endroits, en offrant des « attractions » distinctes, entre lesquelles il est facile de se repérer.

Mumbo Mountain
Source : Noclip

Le deuxième niveau est lui aussi intéressant : moins linéaire, il forme un cercle autour d’un phare. Ce niveau est celui où l’on acquiert la capacité de voler, et naturellement le premier réflexe lorsque l’on obtient ce pouvoir est d’aller voir ce qu’il y a au sommet. La musique s’arrête alors, pour mieux donner l’impression d’altitude. Une fois tout en haut on déniche bien entendu quelques trésors. Puis en descendant du phare, par la marche cette fois, on emprunte le chemin que l’on était « supposé » prendre pour monter. Sauf que ce chemin n’est en fait pas accessible à pied ! Dans tous les cas il faut s’envoler pour y accéder. Il y a à mon avis une volonté dans le level-design non seulement de nous procurer la satisfaction de s’envoler le plus haut possible, mais aussi de nous donner l’illusion d’avoir « triché » pour faire cette ascension. Alors que les level-designer avaient bien en tête que les joueurs allaient dans tous les cas utiliser les ailes de Kazooie pour monter. C’est une parfaite manipulation, pour une plaisante expérience ludo-narrative.

Tous les niveaux suivent ainsi les mêmes principes de level-design : un espace condensé, divisé en petites zones d’intérêts à l’identité forte, reliées les unes aux autres par un hub ou une boucle7. Le rôle des collectibles dans ces espaces est alors d’encourager l’exploration. Ceux à faible valeur, comme les notes, forment des files qui montrent les chemins qui n’ont pas encore été explorés, et attirent le regard vers des ouvertures. Ceux à plus forte valeur, principalement les pièces de puzzle, sont des carottes encourageant les joueurs à interagir avec les éléments du niveau et bien les explorer en profondeur. La hiérarchie des collectibles a donc un sens : elle nivelle le plaisir perçu en récoltant un objet. Plus la trouvaille est rare, plus elle est gratifiante et devient mémorable8. Cela permet aussi de donner plusieurs objectifs à l’exploration : chercher les rares pièces de puzzle, collecter un maximum de note, partir à la chasse aux Jinjos, remplir sa jauge de plume… Une activité suffisamment stimulante, avec toujours la même finalité : nous faire nous balader dans ses niveaux.

Cette ballade est l’essence même du jeu. C’est ce que j’en retiens, et qui laisse une place toute particulière à Banjo Kazooie dans mon cœur. J’ai adoré ses mondes, avec leurs ambiances, leurs sens de la mise en scène, et les secrets qu’ils cachent. J’ai évidemment été conquis par les musiques si iconiques de Grant Kirkhope, et c’est même un des premiers jeux où j’ai apprécié la musique dynamique variant selon l’endroit où on se trouve, créant une interaction musicale quasi inédite pour l’époque. J’ai une affection toute particulière pour la caverne de Grunty, un hub certes très peu pratique, mais délicieusement tortueux, rempli de bizarreries et de secrets, qui s’explore tout au long du jeu tel un fil rouge, en révélant également à chaque salle une nouvelle variation de son thème musical emblématique. Banjo-Kazooie était ainsi l’un de mes premier walking-simulator9 ! C’est un jeu qui procure le plaisir de se promener dans des univers fantaisistes, et découvrir ce qu’ils ont à offrir. Tous les défis simples qu’il propose ne sont qu’au service de ce monde, une activité prétexte pour rythmer la promenade.

Grunty

Banjo-Kazooie a suffisamment marché pour non seulement marquer toute une génération de joueurs, mais aussi s’offrir le luxe d’une suite !

Plus grand, plus ambitieux, et plus dur
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Banjo-Tooie reprend les bases de Banjo-Kazooie : un hub, 9 mondes à explorer, chacun possédant 100 notes et 10 pièces de puzzle. Mais il étoffe généreusement cette formule, en voyant beaucoup plus large. Cette fois-ci les niveaux sont interconnectés ! Ils possèdent des passages des uns vers les autres, et de nombreux puzzles requièrent d’effectuer une action dans un niveau pour avoir un effet dans l’autre. La palette de mouvements est aussi doublée par rapport à l’originale. Et il est très fréquent qu’une fois une nouvelle capacité apprise il faille revenir dans un niveau précédent pour l’utiliser. Le jeu est quasiment un Metroidvania : on jongle constamment entre les niveaux au fur et à mesure que l’on progresse ! Cela rend le jeu bien plus intéressant au niveau des puzzles, offrant une exploration beaucoup plus complexe. Mais il s’éloigne de fait beaucoup de la promenade qu’était le premier jeu.

Autre différence importante : les niveaux sont bien plus grands que ceux de Banjo-Kazooie, et aussi plus labyrinthiques. Là où Banjo-Kazooie se contentait souvent d’une petite zone ouverte, Banjo-Tooie découpe ses niveaux en plusieurs grands segments reliés les uns aux autres par des “portes”10. Il ne m’est ainsi pas possible de montrer une vue aérienne du premier niveau comme pour Banjo-Kazooie, car celui-ci est fait d’une grande zone centrale menant à plein de couloirs séparés dans des espaces intérieurs. Voici donc une map approximative11, et quelques prises de vue pour vous faire une idée des échelles.

Mayahem Temple

Si on retrouve un peu l’idée d’une spirale autour d’une montagne, les branches qui orbitent autour rendent le level-design bien plus compliqué. Les embranchements sont faits de beaucoup de salles dans lesquels il n’est pas facile de s’orienter. On y croise aussi de nombreux puzzles qu’on ne peut pas résoudre immédiatement. Il faut donc parcourir le niveau en plusieurs allers-retour pour s’en faire une carte mentale et retenir les endroits qu’ils reste à déverrouiller. Cette exploration est malheureusement laborieuse : de par la taille des niveaux, les points d’intérêts sont plus espacés et offrent moins de repères. Les petites attractions ne sont plus les unes à côté des autres, elles sont placés à l’intérieur d’un dédale. On navigue la plupart du temps dans des larges chemins qui se ressemblent tous, croisant des ouvertures entre les zones difficiles à distinguer les unes des autres.

Banjo-Tooie fait parfois penser à un immense donjon de Zelda, dans lequel on se perd souvent et où on doit faire de nombreux aller-retour pour démêler un par un ses puzzles. Les collectibles en deviennent alors davantage une chasse au trésor, plutôt qu’un guide invisible. Les Jinjos par exemple sont dispersés dans chaque monde, ce qui fait on ne sait jamais quand on complétera une collection, et les débusquer tous demande de bien fouiller chacun des niveau12. Les notes quant à elles ne servent même plus à indiquer les chemins non explorés ! Non seulement les espaces sont trop grands pour le permettre avec seulement 100 notes, mais en plus les level-designer ont eu la fausse bonne idée de les regrouper en pack de 5 ou 10, perdant ainsi l’intérêt de tracer des lignes de guide. On ne récupère donc plus les notes en parcourant naturellement le niveau, mais en longeant les coins de chaque salle. La collecte est devenue une corvée.

Si Banjo-Tooie reste malgré tout un bon jeu, sa complexité amène de nombreuses frustrations qui le rendent plus dur à apprécier que son prédécesseur13. Il montre les premières faiblesses qui amèneront au déclin du collectathon : lorsque l’on commence à étoffer la formule, en se concentrant sur les mécaniques, on finit par obtenir une collecte plus laborieuse. Perdant ainsi une partie des atouts contemplatifs du genre. Car si elle en est le centre, la collecte n’est paradoxalement pas l’intérêt principal des collectathon. Ce n’est qu’un moyen au service du plaisir de s’immerger dans un autre monde. Mais à partir des années 2000, d’autres genres ont su faire ressentir ce même plaisir plus efficacement que par la collecte. Les collectathons, n’ayant plus rien à proposer dans leurs mécaniques, ont fini par disparaître.

Banjo Tooie

En 2015, d’anciens employés de Rare s’étant regroupés sous leur propre studio Playtonic tentent de ressusciter la plate-forme 3D au travers de Yooka-Laylee. Une suite spirituelle à Banjo-Tooie qui sortira en 2017. On y reprend encore une fois les même bases, comme un « retour aux sources » qui ne s’en cache pas : les pièces de puzzle deviennent des pages, les notes de musique des plumes, les plumes des papillons, etc. On retrouve même un duo d’animaux en protagoniste, le repère du méchant en hub, des yeux collés sur des objets, des quiz, non, vraiment, c’est Banjo-Kazooie. Le jeu mise énormément sur la nostalgie pour tenter de faire revivre le plaisir de la découverte de ces jeux14.

Mais il se prend à son tour les pieds dans le tapis de ses ambitions ! Yooka-Laylee a peu de niveaux, mais ceux-ci compensent en étant très vastes. D’autant vastes qu’en milieu du jeu on est amené à les revisiter en les agrandissant encore plus ! Ils ne sont heureusement pas aussi labyrinthiques que ceux de Banjo-Tooie, ce qui fait qu’on s’y perd moins. Mais ils nécessitent tout de même du backtracking récurrent pour utiliser des compétences se débloquant dans d’autres niveaux. Et de nouveau les collectibles ne suffisent plus à tracer des chemins. Leur collecte s’apparente plutôt à de la recherche d’objets cachés. La traversée est aussi rendue laborieuse par l’échelle de ces mondes : chaque plate-forme est sur-dimensionnée, tout est vraiment immense. Cela a pour effet de donner constamment l’impression d’être dans des décors faits pour des géants15. On y incarne des intrus minuscules, dans un espace qui n’est pas un monde auquel on peut appartenir. Ce ne sont plus des mondes dans lesquels on peut s’immerger, juste des niveaux de jeu-vidéo.

Yooka-Laylee

Cette différence s’explique aussi par l’aspect platformer plus prononcé de Yooka-Laylee. Les niveaux ont des défis de plate-forme plus corsés, demandant de bien maîtriser la physique du jeu16 pour franchir des obstacles avec vitesse et agilité. Le level-design est donc plus adapté à la navigation rapide, au détriment des aspects narratif. Il en devient aussi plus contraignant. Vous vous souvenez dans Banjo-Kazooie comment le niveau 2, celui dans lequel on apprend à voler, encourage à utiliser cette capacité, quitte à avoir la sensation de tricher ? Dans Yooka-Laylee, c’est un peu l’inverse : le niveau dans lequel on apprend le vol (le dernier) est un océan fait d’îles très éloignées les unes des autres, difficilement atteignables avec notre vol limité. Ces îles sont construites soit tellement en hauteur qu’il est impossible d’y grimper seulement avec les ailes, soit avec des structures fermées nous empêchant d’y accéder autrement que par l’entrée tout en bas. Bref, tout est pensé pour qu’on ne puisse pas abuser du vol. Après que le jeu nous ait donné un pouvoir, le level-design est fait de contraintes pour nous empêcher de l’exploiter.

Yooka-Laylee

Yooka-Laylee n’est pas un mauvais jeu pour autant. En temps que jeu de plate-forme 3D, il s’apprécie bien17. Mais de nouveau la collecte n’y a pas sa place. Elle est encore une fois laborieuse, et source de frustration quand il s’agit de rechercher le dernier morceau de machin manquant. Et ses niveaux trop larges et trop focalisés sur la plate-forme ne permettent pas d’apprécier le monde que l’on explore (ni l’exploration elle-même). Il faut noter tout de même que Playtonic est en train de travailler à un remake de Yooka-Laylee, qui entre autre corrige certains problèmes du design (par exemple en proposant une carte des niveaux et des téléporteurs). À voir si cela pourra y rendre la collecte plus agréable qu’elle ne l’est en l’état.

En fait il faut croire que l’ambition sied mal au collectathon. Ce qui a finalement permis de faire renaître le genre, ce sont des jeux bien plus petits.

Randonnée d’une après-midi
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C’est un peu difficile de classifier A Short Hike. Un très petit jeu développé en solo par Adam Gryu, sorti en 2019. On y incarne une jeune fille oiseau qui entreprend l’ascension d’une montagne sur une petite île. Sur les tags de sa page Steam, on trouve à la fois plate-forme 3D et simulateur de marche. Un mariage qui peut paraître contradictoire, et pourtant fonctionne à merveille.

A Short Hike a deux inspirations principales. La première est The Legend of Zelda: Breath of the Wild, dont il reprend l’escalade et le vol plané. Le monde nous invite à grimper à toutes les parois, et profiter ensuite de la hauteur pour planer vers des endroits éloignés. Le tout dans un level-design propice au papillonnage, nous écartant sans arrêt de l’objectif avec des petites activités annexes à chaque recoin. Sauf qu’ici ill n’y a pas de défaite possible. Pas de dégât de chute, d’ennemis, de santé, rien qui puisse créer un game over. On ne progresse toujours que vers l’avant. On profite ainsi des déplacements acrobatiques d’un jeu de plate-forme, mais avec l’absence de pénalité d’un walking-sim, pour une expérience détendue et fun.

La deuxième inspiration est Animal Crossing. L’ascension de la montagne nous amène à rencontrer ses résidents, petits animaux parlant avec des voix yaourt. Chacun d’entre eux a une histoire à partager, parfois associée à une quête à accomplir pour les aider. Les dialogues sont tous très drôles, faits de phrases courtes, dans un enrobage bon enfant et bienveillant. Ce n’est alors plus un niveau de plate-forme que l’on explore, mais bien un monde qui semble crédible. Il a ses habitants, ses lieux emblématiques, ses monuments, et sa propre histoire. Le narratif devient vite l’une des motivations principales : on se ballade pour rencontrer des gens, passer du temps avec eux, potentiellement se faire des amis… L’expérience du jeu est avant tout faite de petites histoires.

A Short Hike

L’île elle-même est agencée en spirales autour du sommet18, formant différents paliers circulaires. Il n’y a cependant pas de chemin linéaire, et la capacité d’escalader nous amène souvent à passer d’un endroit à l’autre dans le désordre. Le jeu a une autre particularité notable : la caméra est fixe. Elle empêche donc d’observer l’horizon autour de soi pour s’orienter. Il est alors facile de se perdre et de ne pas savoir exactement comment la montagne est agencée. Mais c’est une volonté du level-design, qu’il arrive bien à compenser. Tout d’abord, quelle que soit la direction que l’on prend, on tombe toujours sur quelque chose d’intéressant à faire. Trésor à collecter, personnage à rencontrer… Il y a toujours de quoi s’occuper avec une récompense à la clé. Ensuite, si l’on cherche quelque chose de spécifique, la petite taille de l’île empêche d’avoir à fouiller trop longtemps. De nouveau, le découpage du monde en petits points d’intérêts identifiables aide grandement la navigation. Et enfin, il y a une direction qui ne change jamais : l’objectif principal du jeu, situé tout en haut de la montagne. A Short Hike arrive de cette façon à procurer la joie de se perdre un peu, mais en ayant toujours la possibilité de retrouver son chemin facilement.

A Short Hike offre une courte promenade, sans prétention mais pas moins agréable. Une promenade rythmée efficacement par la collecte. Dans un premier temps, celle-ci offre des petits objectifs, avec la satisfaction de trouver des trésors sur notre chemin. A Short Hike n’affiche d’ailleurs aucun total d’objets à trouver. On ne joue pas pour la complétion, on se contente plutôt du plaisir simple de trouver quelque chose. Les quantités demandées pour finir le jeu ou remplir des missions sont faibles, ce qui fait que la majorité des objets à trouver sont purement optionnels. Ensuite, le collectible principal du jeu, les plumes, impactent perceptiblement le jeu. Comme l’endurance de Breath of the Wild, elles nous permettent d’escalader plus longtemps, et même de profiter d’un coup d’aile supplémentaire pour voler. Il y a donc une réelle sensation de progression à les accumuler, qui va plus loin qu’un simple chiffre à l’écran. Avec ce design, et son échelle réduite, A Short Hike retire les aspects laborieux de la collecte pour n’en garder que le positif. C’est un collectathon qui arrive à nous faire profiter de son univers grâce à des mécaniques simples et plaisantes.

A Short Hike

Bien qu’étant un petit jeu, A Short Hike n’est pas passé inaperçu et a su faire quelques émules. Il y avait un désir chez certains joueurs de retrouver ces expériences cozy : des jeux courts, sans pression, aux univers mignons et drôle. Plusieurs petits platformer s’inspirant directement de lui ont alors vu le jour. Parmi eux, il y a notamment Lil Gator Game. Incarnant un petit alligator cherchant à rassembler des amis, le joueur est amené à explorer une île en escaladant ou en planant à l’aide d’une para-voile, et rencontrer d’autres animaux. Mécaniquement on est très proche ! Mais le jeu arrive à se forger une identité marquée, avec son humour omniprésent, et le contexte d’enfants jouant tous à un immense jeu qui confère au récit un ton qui ne se prend jamais trop au sérieux.

Lil Gator Game

Lil Gator Game a lui aussi son lot de collectibles. Comme A Short Hike il possède un objet permettant d’escalader plus longtemps, les élastiques, mais ceux-ci sont plus rares que les plumes. La monnaie principale est la confetti, qui s’acquiert en accomplissant des quêtes ou en détruisant des éléments de décor en carton. Ces cartons sont littéralement éparpillés partout sur l’île, et se régénèrent même lorsque l’on quitte une zone, ce qui fait de la confetti une ressource très commune. Elle s’accumule naturellement en jouant19. Mais elle a malgré tout un rôle important, puisqu’elle permet de fabriquer des costumes et des équipements ! Ceux-ci ont un intérêt cosmétique, mais aussi ludique, puisqu’ils peuvent avoir des propriétés uniques. Les recettes de crafting sont d’ailleurs elles aussi des éléments se récupérant au fil du jeu. En bref, là aussi la collecte vient enrichir les mécaniques de plate-forme, offrant une progression perceptible.

L’autre élément que l’on « collecte », c’est les amis. Le héros du jeu souhaite organiser une grande partie de jeu, et a besoin d’enrôler un maximum de personnes. Pour pouvoir mettre en place le jeu, il faudra convaincre les 3 personnages clés en remplissant leurs quêtes, ainsi qu’obtenir un nombre suffisant de participants. Pour engager quelqu’un, il suffit de lui parler et éventuellement effectuer une mission simple pour lui. Cela peut aller de simplement lui adresser la parole, à compléter une course d’obstacle. Dans tous les cas ce n’est jamais vraiment compliqué. On est ici plus proche d’une liste d’objectifs que de collectibles. Mais comme c’est une ressource chiffrée je me permet de la prendre en compte ! Sa particularité, c’est que par sa nature chaque ami que l’on récupère est unique. Il y a un personnage, un dialogue associé, et même une quête bien à lui. En mettant en avant le narratif, la collecte principale du jeu rend chaque élément mémorable. Ils sont d’autant marqués que dans le parc centrale de l’île, où s’organise le jeu des enfants, on pourra retrouver chaque ami enrôlé et découvrir ce qu’ils décident de faire. Lil Gator Game est ainsi un jeu de plate-forme très basique20, mais très fun grâce à sa personnalité, son humour, et les joies de l’exploration qu’il procure.

Lil Gator Game

On a donc pu ressusciter le collectathon, en adoucissant ses aspects de platformer pour mieux se focaliser sur l’exploration et le narratif. Cantonné à des petits mondes, il est beaucoup moins frustrant. Mais peut-on malgré tout être plus ambitieux ? Est-il possible de faire du collectathon dans un plus grand jeu ?

Un petit héros qui voit grand
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En 2022 un jeu indépendant flirtant avec le collectathon a rencontré un très bon accueil de la part des critiques et des joueurs. Il s’agit de Tinykin, créé par la studio Splashteam. L’inspiration la plus flagrante du jeu n’est cependant pas un platformer 3D, mais Pikmin. On y incarne un astronaute scientifique qui se retrouve malgré lui propulsé dans le jardin la maison d’un monde similaire au notre, mais où il fait la taille d’un insecte. Dans chaque niveau on devra collecter des Pikmins Tinykins, petites créatures colorées ayant chacune des capacités spéciales. C’est donc un mélange d’exploration et de gestion de ressources, où l’on commence un niveau seul pour le finir avec une petite horde de Tinykins à notre commandement.

Le level-design de Tinykin se rapproche cependant davantage de jeux de plate-forme 3D que ceux de Pikmin. Ne serait-ce que parce qu’ils ont plus de verticalité : il y a beaucoup à explorer sur les murs et les plafonds d’une maison ! Ces environnements ont aussi comme point commun avec ceux de Yooka-Laylee d’être à échelle de géants. Sauf qu’ici il y a une justification scénaristique, nous évoluons dans un monde d’insectes à l’intérieur d’une maison. La suspension d’incrédulité est maintenue. Ce gigantisme est toutefois contrasté par les structures construites par les insectes. Car ceux-ci sont plutôt évolués ! Ils ont bâti des villes à l’aide d’allumettes, de cartons, d’épingles… Tout ce qu’ils pouvaient transporter ! Ce sont ces architectures qui font le sel des décors. Elles détournent ingénieusement les lieux classiques d’une maison pour les réinventer en quelque chose de surprenant. Une chambre héberge un village avec ses maisons et son église, une salle de bain est transformée en discothèque… L’ensemble forme un univers charmant, servi par des dialogues drôles et des musiques au top, qui donne envie d’être exploré !

Tinykin

La collecte des Tinykins structure cette exploration un peu à la manière d’un Metroidvania. Certains chemins requièrent un nombre de Tinykins d’une couleur spécifique, de même que certaines missions. On fera donc de nombreux allers et venues pour récupérer assez de Tinykins pour progresser petit à petit dans le niveau. Et pour faciliter la navigation, on créera au fur et à mesure de nouveaux passages et raccourcis (sous la forme de fils de toile d’araignée sur lesquels il est extrêmement satisfaisant de glisser21). De nouveau on a donc une collecte qui donne un véritable sentiment de progression, augmentant nos capacités à chaque Tinykin récupéré. Le fait que ceux-ci forment une troupe dont la taille grossit à vue d’œil participe bien entendu au sentiment de puissance. Le jeu aurait malgré tout pu tomber dans l’écueil du « clé-serrure », où les Tinykin bleus déverrouillent les obstacles bleus, les rouges les rouges, etc. Mais il l’évite en donnant à chaque espèce un pouvoir et une fonction différente, avec des nouveautés à chaque niveau. Donnant des « puzzles » très simples, mais assez variés pour qu’on ne s’ennuie pas.

Tinykin

N’ayons donc pas peur des mots : Tinykin est bien un collectathon. Un jeu d’exploration où le but principal est de collecter des ressources. On y retrouve les poncifs du genre, comme la répartition des collectibles sur les chemins pour guider et mettre en avant les zones non explorées, ou encore la hiérarchie des collectibles avec certains trésors plus rares bien cachés. Et il fait sacrément bien son boulot ! L’exploration est toujours fun, avec une sensation de progression permanente très gratifiante. Il serait facile de prétendre qu’il « rompt avec les collectathons médiocres d’antan » et expliquer son succès par ses qualités spécifiques, comme sa direction artistique, son écriture, et la satisfaction qu’il y a à s’entourer d’une foule grossissante qui nous permet d’explorer plus loin… Mais je pense surtout qu’il applique parfaitement la formule du collectathon déjà existante, en la modernisant légèrement. Les niveaux sont grands, mais ont des marqueurs identifiables qui aident à s’y repérer. Il y a beaucoup d’éléments à collecter, mais ils sont placés naturellement sur le chemins du joueur ou à des endroits intéressants à atteindre. Les types de collectibles sont variés, mais ont chacun une utilité qui leur donne du sens. En fait c’est un game-design qu’on avait perdu, en voulant ajouter de la complexité ou de la difficulté, mais qui marche toujours : la joie d’explorer un monde intéressant en suivant des collectibles22.

Le « contemplatif » convivial
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Il y a un dernier exemple récent que j’aimerais mentionner. En 2024, la Team Asobi surprend la scène du jeu-vidéo AAA, en remportant (entre autre) les Game Awards, avec leur jeu Astro Bot. Certes, on ne peut pas vraiment qualifier Astro Bot de collectathon. C’est un pur jeu de plate-forme 3D, avec des niveaux linéaires. Le fait qu’il ait des collectibles en mécanique secondaire n’y change rien, car encore une fois, le collectible n’est qu’un outil de game-design. Mais Astro Bot a une qualité en commun avec le collectathon : la mise en valeur de son esthétique et sa personnalité. Astro Bot regorge de détails interactifs, à un niveau absurde. Le moindre petit objet a un feedback plaisant lorsqu’on marche dessus où qu’on le frappe. Les niveaux sont remplis d’éléments de décors avec des animations uniques ! Là où la plupart des AAA consacrent leur budget au photo-réalisme, qui exige de nombreux détails passant chacun inaperçu pour former un ensemble authentique, Astro Bot s’est plutôt s’est concentré sur la logique inverse, où chaque détail est remarquable, en mettant tout au service du fun. Tout dans l’environnement doit être un minimum amusant, soit en interagissant avec, soit juste en le regardant.

Par exemple il y a les nombreuses références aux jeux Playstation. Ils prennent la forme non pas d’artworks directs, mais des robots déguisés en personnages. Ce qui fait qu’en les voyant, il y a un méta-jeu qui se crée nous demandant de deviner à quelle œuvre un costume fait référence. C’est juste assez pour que ce soit plutôt facile, mais avec quelques secondes de réflexion nécessaires. Chacun de nouveau avec des animations uniques23. Bref, on prend un petit plaisir à les découvrir et les observer. Et on retrouve la même logique partout ! C’est sans aucun doute une des grandes forces du jeu. Astro Bot est un jeu où on se ballade dans des décors fabuleux, où tout fait bim-bam-boum à notre passage. C’est en quelque sorte un jeu contemplatif.

Astro Bot

Quand on entend le terme « contemplatif » dans le jeu-vidéo, on a un peu en tête des jeux poétiques, avec peu d’interactions, et légèrement prétentieux. Des jeux narratifs, walking-simulator, le silence d’un coucher de soleil derrière les montagnes, un envol d’oiseaux, une symbolique sur les étapes du deuil, ou une parabole de la dépression… Shadow of the Colossus, Journey, The Witness, Firewatch, Gris, Jusant… De très beau jeux bien sûr, mais qui se prennent aussi très au sérieux, et peuvent même parfois donner l’impression d’être pris de haut. Mais ils n’ont pas inventé le contemplatif ! Le jeu-vidéo l’était déjà bien avant eux, tout en restant accessible. C’était le cas de nombreux platformer 3D et collectathons. Banjo-Kazooie n’était pas incroyable par ses mécaniques, mais c’était un jeu contemplatif qui invitait à un voyage drôle et surprenant. Je pourrais en dire de même de Rayman 2 et 3, Mario Sunshine, Psychonauts et sa suite, FEZ, A Hat in Time, ou Little Kitty Big City24. Ce sont des jeux procurant le plaisir d’être ailleurs et de découvrir des univers fantaisistes, tout en restant amusants et simples. Et c’est précisément là où excelle le collectathon.

Donc si vous êtes game-designer et avez l’envie de créer un jeu contemplatif, tout en restant fun et accessible pour tous les âges… Le collectathon est une bonne option à considérer.


  1. Le terme « Jeu à Patounes » a été popularisé par le Joueur du Grenier. Il est utilisé depuis sur le web francophone pour critiquer les jeux à collectibles. Si ça avait du sens dans les années 2000, je le trouve peu pertinent aujourd’hui. Les collectibles sont un outil de level-design, il n’y a pas à les fustiger dès qu’on en voit. ↩︎

  2. J’ai tout de même une partie de mon cerveau qui ira compulsivement chercher ces collectibles, par FOMO. Un effet secondaire qui les rend d’autant plus frustrant. ↩︎

  3. La subtilité étant que les tableaux ne sont pas la porte d’entrée vers les niveaux, mais la clé pour les ouvrir ↩︎

  4. La Baie du Rusty Bucket et l’ascension des Bois Clic-Clac ont laissé des souvenirs douloureux chez tous les joueurs ↩︎

  5. Oui, un autre emprunt à Mario 64. Sachez que l’on fait aussi un salto arrière en combinant Z + A. ↩︎

  6. À ce stade je devrais arrêter de lister les points communs avec Super Mario 64 ↩︎

  7. Pour une analyse plus approfondie du level-design, vous pouvez regardez la vidéo de GMTK sur le level-design de Banjo-Kazooie et Banjo-Tooie ↩︎

  8. Inversement, un reproche que je fais à Super Mario Odyssey est de n’utiliser que des lunes comme récompense. Affronter un défi difficile a la même valeur que fouiller un buisson : on ne fait qu’augmenter un nombre à trois chiffres. ↩︎

  9. J’avais même eu l’ambition de réaliser un épisode de Traversée consacré à ce jeu ↩︎

  10. Comprenez des ouvertures à franchir avec des transitions d’entrée et sortie ↩︎

  11. J’ai omis certaines petites salles, ainsi qu’un donjon un peu à part (dont le leve-design reprend une map de Goldeneye 64). ↩︎

  12. Sans parler des faux Jinjos, des leurres placés un peu partout qui sont en fait des ennemis parmi les plus agressifs du jeu ↩︎

  13. De nouveau, voir la vidéo de Mark Brown pour plus de détails ↩︎

  14. Une nostalgie au final très artificielle. À trop référencer son ancêtre, le jeu donne l’impression de remplir un cahier des charges sans réelle volonté créatrice derrière. La référence est là, mais sonne creuse. ↩︎

  15. En level-design, créer des agencements plus grands qu’ils ne le seraient naturellement est une technique fréquente pour améliorer les déplacements et interagir plus facilement que dans des espaces étriqués. Mais comme toute technique de level-design, elle fonctionne quand elle ne se voit pas. ↩︎

  16. Qui n’est hélas ni agréable ni fun ↩︎

  17. Je dirais que j’ai passé un bon moment sur Yooka-Laylee, mais une fois terminé, j’étais satisfait de ne plus avoir à le relancer ↩︎

  18. Décidément c’est un motif qu’on retrouve souvent ↩︎

  19. Autre particularité, il faut frapper à l’épée les éléments en carton pour la récolter. Petite interaction qui rend la collecte moins passive, avec des micro-feedback satisfaisants. ↩︎

  20. Aux mouvements toutefois très bien huilés ! S’y déplacer est jouissif, et les speed-run du jeu sont fascinants à voir. ↩︎

  21. L’aspect plate-forme du jeu n’est pas trop prononcé, la physique est même globalement assez raide. Mais chaque niveau propose quand même des parcours chronométrés optionnels, demandant d’optimiser chaque petit mouvement pour conserver sa vitesse. Je dois avouer que j’y ai pris énormément de plaisir. ↩︎

  22. Un game-design qui fonctionne aussi grâce aux mécaniques au travers desquelles l’exploration se fait, n’enlevons pas ceci ↩︎

  23. Ce qui encore une fois est complètement fou comme attention aux détails. Ça requiert un boulot dingue, à l’échelle de ce jeu ! Mais je pense que les autres AAA doivent avoir une charge largement comparable, voire au-dessus, pour modéliser chaque rocher et impacts de balle. Sauf qu’ici, pour une fois, on peut voir tous ces efforts, les apprécier, et ils font tous preuve de créativité. ↩︎

  24. Bien que pour certains de ces jeux j’ai un avis très positif sur la qualité de leurs mécaniques ↩︎

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